mardi 29 mars 2011

Mireille

Ca ne faisait pas cinq minutes que je m'étais installée sur cette terrasse ensoleillée, un 33 blond bien frais sur la table, Le Roi des Aulnes ouvert sur mes genoux, quand une vieille dame m'a demandé en flamand - assez proche de l'allemand, donc compréhensible - si la chaise était libre. Bien sûr, elle s'asseoit. Commence à me parler, je l'interromps très vite en lui expliquant que je ne parle pas flamand, que je suis française. Elle enchaîne donc dans un français grammaticalement hésitant, mais au vocabulaire permettant de communiquer correctement. Une petite vieille aux cheveux épars et bouclés, plus que grisonnants, aux chevilles et poignets fins, au vernis à ongle dépareillé de rouges et rosés. Son verre de blanc arrive sur la table. Elle a déjà allumé une cigarette. Elle m'explique qu'à partir du moment où elle est assise dans un fauteuil avec un verre, il faut qu'elle ait une cigarette à la main, mais que ce n'est pas bon d'inhaler la fumée, alors elle fume clope sur clope, en crapottant. Cinq en une demie-heure, des industrielles. Elle a deux paquets différents sur elle, des plus ou moins fortes. Elle m'en propose, je décline, lui expliquant que je préfère les cigarettes roulées. Elle me demande ce qu'est cet appareil volumineux posé sur la table : un téléphone ? Non, un casque pour écouter de la musique - vous voulez que je vous fasse écouter un peu de musique ? Elle ne semble pas à l'aise à l'idée d'avoir un tel appareil sur sa tête et refuse poliment. 79 ans, 80 en juillet, elle a de l'arthrose, du mal à marcher, mais utilise inlassablement son vélo, qu'elle a attaché contre le paravent de la terrasse. Elle est tombée quatre fois, se cassant le coude, le nez, mais remontant toujours sur la selle dès que réparée. Elle préfère l'indépendance que lui procure le vélo, et comme elle n'habite qu'à dix minutes, c'est bien plus simple que de demander à son mari de la conduire en voiture. Elle ne peut pas trop rester au soleil car la peau de sa joue gauche noircit au contact des UV - "quand on est jeune, on peut faire ce qu'on veut, mais quand on vieillit, il faut faire attention à tout". Elle se tourne légèrement et continue de me parler. Son mari travaille à la télévision à Bruxelles, mais elle a toujurs vécu à Courtrai. Elle me demande plusieurs fois où j'habite, ce que je fais là. Pas évident de lui répondre que j'habite à Berlin, que je suis là dans le cadre d'un stage en production pour accompagner une compagnie de danse, que nous vivons dans cette maison adjacente au Buda Theater avec l'équipe. Je reprends une bière : une Hoegaarden à la pression. Elle m'explique que son fils est marié à une Zimbabwéenne, qu'ils ont vécu au Zimbabwé, en Guinée et maintenant en Bolivie, que ce n'est pas facile pour les enfants, de devoir passer comme ça d'une langue à l'autre. Sa fille est veuve, son copain étant mort d'overdose - "dans toutes les familles il y a des histoires comme ça". Je lui offre du chocolat - Côte d'or au lait avec éclats de speculos ; elle m'offre un briquet, m'expliquant qu'elle en a toujours des très biens quand elle achète des cigarettes, avec cette sécurité pour que les enfants ne puissent pas les utiliser. Elle part en me déposant une bise, me remerciant de la compagnie, envisageant que l'on se recroise sur cette terrasse, si les circonstances s'y prêtent...

1 commentaire: